FRANÇAIS

CULTURES & CONFLITS - Petites Impressions génoises. Chroniques quotidiennes d'une mobilisation anti-mondialisation

 

été 2002

Jean-Pierre Masse et Nathalie Bayon

Le texte qui suit ne prétend être rien d’autre que le récit d’événements vus par différents acteurs qui les ont vécus, qui en ont été témoins ou à qui ils ont été rapportés. Ecrit à plusieurs mains, quelques semaines après les journées de Gênes, ce texte bénéficie également des apports de la confrontation des expériences et des analyses, de la lecture des médias mainstream ou alternatifs et du simple recul qu’autorise le passage du temps avec ses oublis, ses rationalisations a posteriori, bref toutes ces imperfections qui peuvent faire la force et la faiblesse d’un témoignage1.

Le choix d’un exposé chronologique, sous la forme d’un « journal » est le reflet de notre volonté de montrer comment ces journées ont été crescendo et comment certain(e)s d’entre nous ont pu avoir le sentiment d’être pris dans un mouvement qui les dépassait. C’est également une manière de (re)donner une place à des fragments d’informations qu’une forme plus structurée de narration occulterait. De laisser transparaître des impressions, des sentiments qu’une forme plus aboutie d’écriture ne permettrait pas. Autrement dit, de laisser entrevoir une histoire « en train de se faire », qui autorise la subjectivité des acteurs et de ce fait ne prétend pas refléter le point de vue des organisations.

Avant, pendant, après : le triptyque semble facile, l’articulation clarifie l’exposé mais ne laisse pas voir l’enchevêtrement des temporalités qui s’entrecroisent au sein d’une multitudes de (micro)-événements sur lesquels il convient de revenir. Et l’importance donnée ici au factuel ne doit pas empêcher d’esquisser ponctuellement les lignes d’analyse permettant de mieux comprendre ce qui caractérise et fait la spécificité du mouvement antimondialisation.

Ainsi les journées de Gênes marquent-elles une transformation dans la composition du mouvement. En effet, si jusqu’ici il était majoritairement constitué d’individus appartenant aux catégories sociales médianes capables de se déplacer au gré d’un calendrier fixé par les sommets mondiaux, désormais sa base s’enracine dans des couches militantes composées des classes populaires, ce qui témoigne de l’accroissement de son audience ainsi que de l’appropriation des revendications par les agents principalement concernés par les « méfaits » de la globalisation.

La montée en puissance de la mobilisation

Il y a eu Seattle, l’origine maintenant lointaine, le moment fondateur du mouvement, auquel tout le monde, quelle que soit son appartenance, se réfère plus ou moins volontiers. Plus un discours, un écrit sans que ne surgisse « le peuple de Seattle »

Plus proches et moins présents, Millau, Nice, Davos, Québec, Göteborg. Proximité temporelle, éloignements géographiques. Si certains des acteurs de Gênes ont participé aux contre sommets précédents (notamment Nice pour les Français et les Italiens), la plupart d’entre eux ne les ont vécus que virtuellement. Mais cela a participé de l’engouement pour Gênes, ce à quoi s’ajoutait l’attrait de l’Italie compte tenu des liens divers entretenus par les uns et les autres avec ce pays, la relative facilité d’accès de par la proximité géographique et une période estivale qui conduisait à envisager « naturellement » le déplacement.

Avant, ce fut aussi un flot d’informations diffusées sur les listes de diffusion3. Quelques lignes de code pour programmer le logiciel de gestion, une bonne diffusion de l’information sur les principales mailing list francophones et ce sont rapidement une centaine de personnes qui sont au courant de ce qui se passe au cours de cette phase préparatoire et qui sont en mesure de rediffuser à leur tour l’information vers d’autres réseaux, internationaux, nationaux ou locaux. Un moyen d’informer, de se tenir au courant des différentes initiatives et de rappeler quelques principes de base, liés notamment à la spécificité de la législation italienne en matière de manifestations, par exemple, qui interdit notamment de défiler le visage camouflé.

Avant, ce fut aussi les incertitudes, les doutes, les problèmes logistiques. « j’y vais, j’y vais pas, qui vient ?, quand ?, comment ? ». Quel sera le « meilleur » moyen pour passer la frontière puisque la rumeur (confirmée par la suite) veut que le contrôle aux frontières sera rétabli. Liberté de circulation, certes, mais pas pour tous et pas à n’importe quel moment !

Faut-il tenter de prendre les trains collectifs via les syndicats ou certaines organisations ? Mais il paraît que les gares seront fermées. L’avion est hors de question puisque l’aéroport sera également inaccessible. Reste la voiture, le départ à trois-quatre personnes sur le mode « copains qui vont passer leurs vacances de l’autre coté des Alpes ». Mais quand partir pour éviter trop de contrôles et être sûrs de pouvoir passer la frontière, ne serait-ce que parce que certains ont eu l’honneur du dernier rapport des RG, ou figurent sur des « listes noires » dressées lors des sommets précédents, ou sont simplement connus pour leurs activités militantes et que cette « notoriété » involontaire peut éventuellement jouer contre eux. Autant trouver une date qui permette de déjouer les contrôles de douane (la période sera étendue au dernier moment ce qui mettra à mal tous ces beaux calculs) sans que le séjour soit trop long. Les militants partis en voiture ou en train le week-end du 14 juillet sont passés sans trop de problèmes, advienne que pourra.

Arrivée à Gênes le 17 juillet, sans aucun contrôle au tunnel du Fréjus. Les portables sont bien utiles pour prévenir les suivant(e)s que le passage par Fréjus est apparemment plus simple que par Vintimille. Certains préféreront passer par la Suisse, d’autres arriveront plus tard mais tout le réseau de connaissances arrivera à bon port.

Chronique quotidienne de la mobilisation des multitudes en marche contre « l’Empire »

Récits croisés, impressions d’ensemble, témoignages fragmentaires, anecdotes et analyses individuelles ou collectives se succèdent au fil des jours5. Un patchwork de mots qui reflète la diversité des situations au fil du temps. Il n’en demeure pas moins que ce journal rétrospectif quotidien dessine les contours flous dus à la diversité des composantes de ce mouvement.

Pour continuer à lire le texte: Culture & Conflits